Gargantua (Rabelais)
Résumé très court
France, XVIe siècle. Grandgousier et Gargamelle donnèrent naissance à un fils géant nommé Gargantua, qui sortit par l'oreille de sa mère après qu'elle eut mangé trop de tripes. Le nouveau-né réclama immédiatement à boire.
Gargantua passa son enfance à jouer et à boire. Son père lui fit donner une éducation traditionnelle par des théologiens, mais le jeune géant n'apprit rien d'utile. Grandgousier décida alors de confier son fils à Ponocrates, qui l'éduqua selon les principes humanistes. Gargantua devint un jeune homme cultivé et sage.
Une guerre éclata entre Grandgousier et Picrochole, roi de Lerné, à cause d'une dispute entre des bergers et des fouaciers. Picrochole envahit les terres de Grandgousier. Un moine de l'abbaye de Seuillé, frère Jean des Entommeures, défendit vaillamment le clos de vigne contre les ennemis.
Gargantua quitta Paris pour secourir son père. Avec ses compagnons et le moine, il défit l'armée de Picrochole. Le géant traita les vaincus avec clémence et générosité, leur rendant leurs terres et leur liberté.
Pour récompenser frère Jean, Gargantua lui fit construire l'abbaye de Thélème, une abbaye idéale où hommes et femmes vivaient librement ensemble, sans règles contraignantes.
En leur reigle n’estoit que ceste clause. Faictz ce que vouldras. Par ce qie gens libères/ bien enz/ & bien instruictz... ont par nature un instinct & aguillon : qui touisours les pousse à faictz vertueux
Les Thélémites menaient une vie harmonieuse, s'habillant magnifiquement et se consacrant aux arts et aux sciences. Ils se mariaient librement quand ils le souhaitaient.
Résumé détaillé
La division en chapitres est éditoriale.
Prologue de lauteur
L'auteur s'adressa aux lecteurs en les comparant aux Silènes de Platon, ces petites boîtes peintes de figures grotesques qui contenaient des drogues précieuses. Il les invita à ne pas juger son livre par son titre joyeux, mais à en découvrir la substantifique moelle.
Mais ouvrans ceste boite, eussiez au dedans trouvé une celeste & impreciable drogue : entendement plus que humain, vertu merveilleuse, couraige invincible, sobresse non pareille...
La généalogie et la naissance de Gargantua
L'auteur renvoya les lecteurs à la grande chronique pantagruéline pour connaître la généalogie de Gargantua. Il raconta comment fut trouvé un grand tombeau de bronze contenant un livret ancien où était inscrite cette généalogie, ainsi qu'un traité intitulé Les fanfreluches antidotées.
Gargamelle, épouse du bon vivant, était enceinte de Gargantua. Un jour de février, elle mangea une grande quantité de tripes grasses. Après le repas, tous dansèrent joyeusement puis se mirent à boire abondamment. Gargamelle commença alors à se sentir mal du bas. Son mari la réconforta en lui rappelant les paroles de l'Évangile sur les douleurs de l'enfantement.
Les sages-femmes trouvèrent que le fondement de Gargamelle s'était échappé. Une vieille médecine lui fit un restrictif si horrible que tous ses conduits furent oppilés. Par cet inconvénient, les cotylédons de la matrice se relâchèrent, et l'enfant entra dans la veine cave. Grimpant par le diaphragme, il prit son chemin à gauche et sortit par l'oreille senestre.
Soubdain qu’il feut né, il ne crya pas comme les aultres enfans/ mies/ mies/ Mies. Mais à haulte voix s’escryoit, à boyre, à boyre, à boyre. Comme invitant tout le monde à boyre.
Lenfance de Gargantua : vêtements, couleurs et premières années
Entendant les cris de son fils, le père dit que grand il avait le gosier, ce qui donna son nom à l'enfant. On lui donna à boire à tire-larigot et il fut baptisé. On lui ordonna dix-sept mille neuf cents vaches pour l'allaiter ordinairement. Il passa ses premières années à boire, manger et dormir. Il se vautrait dans les fanges, se barbouillait le visage et jouait avec les petits chiens.
Pour ses vêtements, on leva neuf cents aunes de toile pour sa chemise, huit cent treize aunes de satin blanc pour son pourpoint, et onze cent cinq aunes d'estamet blanc pour ses chausses. Pour sa braguette, on leva seize aunes d'étoffe, brodée de diamants, rubis, turquoises, émeraudes et perles persiques, semblable à une belle corne d'abondance.
Les couleurs de Gargantua furent blanc et bleu. Son père voulait qu'on entendît que le blanc lui signifiait joie, plaisir et réjouissance, et le bleu les choses célestes. Il critiqua ceux qui prétendaient que blanc signifiait foi et bleu fermeté, selon un livre vendu par les colporteurs intitulé Le blason des couleurs.
Léducation scolastique défaillante
De trois à cinq ans, Gargantua fut nourri en toute discipline convenable. Il passait son temps à boire, manger et dormir. Un jour, il inventa un moyen de se torcher le cul, le plus excellent qui fût jamais vu. Après avoir essayé divers objets, il conclut qu'il n'y avait tel torche-cul qu'un oison bien duveté.
Mais concluent ie dys & maintiens, qu’il n’y a tel torchecul que d’un oyson bien dumeté, pourveu qu’on luy tieigne la teste entre les iambes. Et m’en croyez suz mon honeur.
Son père, émerveillé par son esprit, décida de le faire instruire. On lui enseigna sa charte si bien qu'il la disait par cœur au rebours, ce qui prit cinq ans et trois mois. Puis on lui lut divers ouvrages scolastiques pendant plus de dix-huit ans. Il devint si savant qu'au jeu il le rendait par cœur à revers. Cependant, son père s'aperçut qu'il étudiait très bien mais n'en profitait rien, et que pis est, il en devenait fou, niais, tout rêveux et rassoté.
Le voyage à Paris et laffaire des cloches
Un jeune page nommé Eudemon fut introduit devant Gargantua. Le page, avec modestie et éloquence, loua Gargantua et l'exhorta à révérer son père. Toute la contenance de Gargantua fut qu'il se prit à pleurer comme une vache et se cachait le visage de son bonnet. Son père, fort courroucé, consulta avec des sages et décida de mettre Ponocrates comme précepteur de Gargantua.
Gargantua fut envoyé à Paris sur une énorme jument que lui avait donnée le roi de Numidie. En passant par la forêt près d'Orléans, la jument défit tous les frelons en abattant le bois avec sa queue, créant ainsi la Beauce. Arrivé à Paris, Gargantua fut vu de tout le monde en grande admiration. Molestement poursuivi par le peuple, il se reposa sur les tours de Notre-Dame et urina si copieusement qu'il en noya deux cent soixante mille quatre cent dix-huit personnes.
Gargantua considéra les grosses cloches des tours et les fit sonner harmonieusement. Il pensa qu'elles serviraient bien de campanes au cou de sa jument et les emporta. Toute la ville fut émue en sédition. On décida d'envoyer le plus vieux et suffisant de la faculté théologale vers Gargantua pour lui remontrer l'horrible inconvénient de la perte de ces cloches. Ce fut le théologien qui fut choisi pour cette mission et prononça une harangue ridicule en latin macaronique.
La nouvelle éducation sous Ponocrates
Ponocrates purgea Gargantua canoniquement avec ellébore d'Anticyre pour lui nettoyer toute l'altération et perverse habitude du cerveau. Il lui fit oublier tout ce qu'il avait appris sous ses antiques précepteurs. Puis il le mit en tel train d'étude qu'il ne perdait heure quelconque du jour, mais tout son temps consommait en lettres et honnête savoir.
Gargantua s'éveillait environ quatre heures du matin. Pendant qu'on le frottait, on lui lisait quelque page de la divine Écriture. Puis il allait aux lieux secrets faire excrétion des digestions naturelles, où son précepteur répétait ce qui avait été lu. Ils considéraient l'état du ciel et jouaient à la balle ou à la paume, s'exerçant galamment les corps comme ils avaient les âmes auparavant.
Tout leur ieu n’estoyt qu’en liberté : car ilz laissoient la partie quand leur plaisoyt, & cessoient ordinarement lors que suoient par my le corps, ou estoient aultrement las.
Au commencement du repas, on leur lisait quelque histoire plaisante. Ils devisaient de la vertu, propriété, efficace et nature de tout ce qui leur était servi à table. Après dîner, ils jouaient aux cartes pour apprendre mille petites gentillesses et inventions nouvelles issues de l'arithmétique. Gargantua apprit aussi la géométrie, l'astronomie et la musique. Il s'exerçait à l'art de chevalerie, montant à cheval, maniant tous bâtons, nageant, luttant et courant.
Le début de la guerre picrocholine
En temps de vendanges, les bergers de la contrée gardaient les vignes. Les fouaciers de Lerné passèrent le grand carroy menant des fouaces à la ville. Les bergers leur requirent courtoisement de leur en bailler pour leur argent. Mais les fouaciers les outragèrent grandement, les appelant trop d'iteulx, breschedens et autres épithètes diffamatoires. Un berger nommé Forgier leur répondit doucement, mais un fouacier le frappa de son fouet. Forgier lui jeta un tribard qui l'atteignit à la tête.
Les fouaciers retournèrent à Lerné et proposèrent leur complainte devant leur roi. Celui-ci entra en courroux furieux et fit crier ban et arrière-ban. Il envoya ses gens qui coururent jusqu'à Seuillé, pillant et dérobant tout. Grandgousier, oyant le bruit, fut saisi de grand déplaisir. Il envoya chercher Gargantua à Paris et tenta de négocier la paix en rendant les fouaces et offrant réparation, mais fut refusé.
Frère Jean et les premières escarmouches
Les ennemis arrivèrent à Seuillé et détroussèrent hommes et femmes. Ils se transportèrent à l'abbaye avec horrible tumulte. En l'abbaye était pour lors un moine claustrier nommé frère Jean des Entommeures, jeune, galant, frisque, dehait, bien à dextre, hardi, aventureux, délibéré, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien avantagé en nez, beau dépêcheur d'heures, beau débrideur de messes.
Voyant les ennemis vendanger le clos de l'abbaye, il sortit et prit le bâton de la croix. Il donna si brusquement sur les ennemis qu'il les renversait comme porcs, frappant à tort et à travers. Il en tua tant que son braquemart rompit en deux pièces. Ainsi par sa prouesse furent défaits tous ceux de l'armée qui étaient entrés dedans le clos, jusqu'au nombre de treize mille six cent vingt-deux.
Pendant ce temps, Picrochole prit d'assaut la Roche Clermaud. Gargantua, averti par son père, quitta Paris avec ses compagnons. En chemin, il envoya l'écuyer en reconnaissance. Celui-ci rencontra les ennemis qui le prirent pour un pauvre diable. Il leur offrit à boire, mais le capitaine voulut prendre son cheval.
L'écuyer fit alors semblant de descendre de cheval et fit souplement le tour de l'étrivière. Il se lança en l'air et fit la gambade sur un pied. Il fit plusieurs tours acrobatiques qui émerveillèrent les ennemis. Certains pensèrent que c'était un lutin ou un diable déguisé et s'enfuirent. L'écuyer dégaina son épée et chargea sur les plus huppés. Le capitaine voulut le frapper en traîtrise, mais l'écuyer lui trancha l'estomac d'un coup.
Gargantua arriva au gué de Vède et trouva un grand arbre qu'il arracha facilement de terre pour s'en servir de bourdon et de lance. Sa jument pissa pour se lâcher le ventre en telle abondance qu'elle fit sept lieues de déluge. Gargantua démolit le château du gué à grands coups de son arbre. Puis il passa le gué avec ses compagnons malgré les corps morts qui l'encombraient.
Se peignant après la bataille, Gargantua faisait tomber de ses cheveux les boulets d'artillerie qui y étaient demeurés. Son père pensa que c'étaient des poux. Le précepteur expliqua que c'étaient des coups de canon reçus devant le gué de Vède. On prépara alors un grand souper avec seize bœufs, trois génisses, trente-deux veaux et quantité d'autres viandes.
Les grandes batailles et la défaite de Picrochole
Pendant le souper, on raconta comment le moine avait sauvé le clos de l'abbaye. Grandgousier le loua au-dessus des prouesses des plus grands héros. On envoya quérir le moine qui arriva joyeusement avec son bâton de croix. Il fut festoyé et tint de beaux propos en soupant, buvant et mangeant de bon appétit.
Il n’est poinct bigot... il est honneste/ ioyeux/ deliberé/ bon compaignon. Il travaille/ il labeure/ il defend les opprimez/ il conforte les affligez/ il subvient es souffreteux
Vers minuit, ils sortirent à l'escarmouche. Le moine donna courage à ses compagnons, mais en chemin il pendit à un arbre. Ses compagnons le délivrèrent. Ils rencontrèrent l'escarmouche de Picrochole. Le moine tua le capitaine mais fut pris prisonnier. Il se défit de ses gardes et l'escarmouche fut défaite. Le moine amena les pèlerins qu'il avait sauvés et le capitaine prisonnier devant Grandgousier.
Grandgousier traita humainement le prisonnier et le renvoya vers Picrochole avec de riches présents pour tenter de faire la paix. Mais les conseillers de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier péril en lui faisant croire qu'il pourrait conquérir le monde entier. Gargantua assaillit Picrochole dedans la Roche Clermaud et défit son armée. Picrochole, fuyant, fut surpris de males fortunes et disparut.
La victoire, la clémence et les récompenses
Après la bataille, Gargantua fit une concion aux vaincus. Il leur rappela la mansuétude de ses ancêtres et leur pardonna généreusement. Il ordonna que les séditieux fussent livrés, mais fit inhumer honorablement les morts et traiter les blessés. Il remboursa les habitants de tous leurs intérêts et fit bâtir un fort château. Il récompensa tous les soldats de ses légions et distribua de riches présents à ses capitaines.
Labbaye de Thélème
Restait seulement le moine à pourvoir. Gargantua voulut le faire abbé, mais il refusa. Le moine demanda qu'on lui permît de fonder une abbaye à son devis. Gargantua lui offrit tout son pays de Thélème. Le moine requit qu'on instituât sa religion au contraire de toutes les autres. Il n'y aurait point de murailles, point d'horloge, et on n'y recevrait que les belles et bien formées femmes et les beaux et bien formés hommes.
Le bâtiment fut en figure hexagone avec six grosses tours rondes. Il était cent fois plus magnifique que Bonnivet, avec neuf cent trente-deux chambres. Entre chaque tour était une belle bibliothèque et de grandes galeries peintes. Sur la grande porte fut mise une inscription invitant les nobles chevaliers et les dames de haut parage, mais refusant l'entrée aux hypocrites, bigots, usuriers et autres gens de mauvaise vie.
Cy entrez vous, & bien soyez venuz
Et parvenuz tous nobles chevaliers,
Cy est le lieu ou sont les revenuz
Bien advenuz : affin que entretenuz
Grands & menuz tous soiez à milliers
Les Thélémites étaient vêtus richement de velours, satin, damas, brodés d'or et de pierreries. Toute leur vie était employée non par lois ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. En leur règle n'était que cette clause : Fais ce que voudras. Quand quelqu'un disait buvons, tous buvaient. Jamais ne furent vus chevaliers tant preux ni dames tant propres et moins fâcheuses. Quand le temps venait qu'aucun voulût issir hors, il emmenait une des dames et ils étaient ensemble mariés.