Histoire d'une fille de ferme (Maupassant)
Résumé très court
Campagne française, XIXe siècle. Rose travaillait comme servante dans une ferme.
Un jour de printemps, Jacques la courtisa et lui promit le mariage.
Ils s'aimèrent et se donnèrent des rendez-vous secrets. Quand Rose découvrit qu'elle était enceinte, Jacques disparut. Elle accoucha d'un enfant chétif qu'elle laissa chez des voisins et retourna travailler. Elle devint indispensable à la ferme par son travail acharné. Le fermier veuf lui proposa de l'épouser.
Rose refusa, mais il la força et ils se marièrent. Les années passèrent sans qu'ils aient d'enfants. Le fermier devint amer et violent. Une nuit, fou de rage, il la frappa. Rose révéla alors la vérité:
J'en ai un éfant, moi, j'en ai un ! je l'ai eu avec Jacques ! ... C'est pour ça que je ne voulais pas t'épouser, c'est pour ça.
Le fermier décida d'adopter l'enfant.
Résumé détaillé par chapitres
Les titres des chapitres sont éditoriaux.
Chapitre 1. Rose et Jacques : amour et abandon
Par un beau jour d'été, les gens de la ferme avaient dîné rapidement et étaient partis aux champs, laissant Rose seule dans la vaste cuisine. La servante lavait lentement sa vaisselle, regardant les carrés de lumière que le soleil projetait sur la table. Trois poules cherchaient des miettes sous les chaises tandis que des odeurs de basse-cour entraient par la porte entrouverte.
Après avoir terminé sa besogne et rangé les assiettes, Rose se sentit oppressée par la chaleur et les émanations de la cuisine. Elle sortit respirer sur le seuil et fut caressée par l'ardente lumière qui lui pénétra au cœur. Devant la porte, le fumier dégageait une petite vapeur miroitante. Les poules se vautraient dessus tandis que le coq superbe choisissait ses conquêtes et tournait autour d'elles avec des gloussements d'appel.
Rose regardait ce spectacle sans penser, puis leva les yeux vers les pommiers en fleur, tout blancs comme des têtes poudrées. Un jeune poulain passa en galopant, affolé de gaieté. Elle aussi sentit une envie de courir et un besoin de mouvement. Elle alla chercher les œufs au poulailler, puis sortit s'asseoir sur l'herbe de la cour.
La servante alla prendre une botte de paille dans un grenier et la jeta dans un trou plein de violettes pour s'asseoir dessus. Puis elle défit le lien, éparpilla son siège et s'étendit sur le dos, les bras sous la tête. Elle fermait doucement les yeux, assoupie dans une mollesse délicieuse, quand elle sentit deux mains qui lui prenaient la poitrine.
C'était Jacques, le garçon de ferme, qui la courtisait depuis quelque temps.
Il essaya de l'embrasser mais elle le gifla. Alors ils s'assirent et causèrent amicalement du temps, de l'année, de leur maître, des voisins, d'eux-mêmes. Rose s'attendrit en pensant à sa mère qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps. Jacques, avec son idée fixe, se rapprochait, tout envahi par le désir. Soudain il la saisit par le cou mais elle le frappa si violemment qu'il se mit à saigner du nez.
Attendrie, Rose lui demanda si cela lui faisait mal. Jacques, pris d'admiration pour cette grande gaillarde si solide, lui proposa de faire un tour. Elle lui prit le bras comme font les promis et lui dit que ce n'était pas bien de la mépriser. Quand elle lui demanda s'il la voulait en mariage, il hésita puis murmura : « Oui, je veux bien. » Alors elle lui jeta ses bras au cou et l'embrassa longuement.
Commença alors entre eux l'éternelle histoire de l'amour. Ils se donnaient des rendez-vous au clair de lune, à l'abri d'une meule de foin. Mais peu à peu, Jacques parut s'ennuyer d'elle, l'évitait et ne cherchait plus à la rencontrer seule. Rose fut envahie par des doutes et une grande tristesse. Au bout de quelque temps, elle s'aperçut qu'elle était enceinte.
Une nuit, Rose sortit sans bruit et poussa la porte de l'écurie où Jacques était couché dans une boîte pleine de paille. Elle le secoua jusqu'à ce qu'il se dresse et lui dit qu'elle voulait qu'il l'épouse puisqu'il le lui avait promis. Il se mit à rire et répondit qu'on n'épousait pas toutes les filles avec qui on avait fauté. Alors elle le saisit à la gorge et lui cria :
Je suis grosse, entends-tu, je suis grosse... Eh bien, je t'épouserai, puisque c'est ça. Mais elle ne croyait plus à ses promesses.
Jacques comprit qu'elle était la plus forte et balbutia qu'il l'épouserait. Elle exigea qu'il fasse publier les bans tout de suite et qu'il le jure sur le bon Dieu. Après quelques secondes d'hésitation, il le jura. Alors elle ouvrit les doigts et s'en alla sans ajouter une parole. Quelques jours plus tard, elle découvrit qu'un autre valet avait pris la place de Jacques. Il avait quitté le pays tout à fait.
Chapitre 2. Grossesse cachée et naissance secrète
Commença alors pour Rose une vie de torture continuelle.
Elle travaillait comme une machine, sans s'occuper de ce qu'elle faisait, avec cette idée fixe en tête : 'Si on le savait !'
Cette obsession constante la rendait incapable de raisonner. Elle se levait tous les matins bien avant les autres et essayait de regarder sa taille dans un petit morceau de glace cassée, très anxieuse de savoir si ce n'était pas aujourd'hui qu'on s'en apercevrait. Pendant le jour, elle interrompait son travail pour considérer si l'ampleur de son ventre ne soulevait pas trop son tablier.
Les mois passaient. Elle ne parlait presque plus et ne comprenait pas quand on lui demandait quelque chose, effarée, l'œil hébété, les mains tremblantes. À l'église, elle se cachait derrière un pilier et n'osait plus aller à confesse, redoutant la rencontre du curé. À table, les regards de ses camarades la faisaient défaillir d'angoisse.
Un matin, le facteur lui remit une lettre. Elle n'en avait jamais reçu et resta bouleversée. Comme elle ne savait pas lire, elle alla trouver le maître d'école qui lut :
La lettre annonçait que sa mère était bien bas et qu'elle devait venir si elle pouvait. Elle était signée par Césaire Dentu, adjoint.
Rose ne dit mot et s'en alla. Sitôt qu'elle fut seule, elle s'affaissa au bord du chemin et resta là jusqu'à la nuit. Le fermier la laissa partir pour autant de temps qu'elle voudrait. Sa mère était à l'agonie et mourut le jour même de son arrivée. Le lendemain, Rose accouchait d'un enfant de sept mois, un petit squelette affreux, maigre à donner des frissons, qui semblait souffrir sans cesse.
Il vécut cependant. Rose raconta qu'elle était mariée mais qu'elle ne pouvait se charger du petit. Elle le laissa chez des voisins qui promirent d'en avoir bien soin et revint à la ferme. Mais alors se leva en son cœur un amour inconnu pour ce petit être chétif qu'elle avait laissé là-bas, et cet amour était une souffrance nouvelle de toutes les heures.
Ce qui la martyrisait surtout, c'était un besoin fou de l'embrasser, de l'étreindre en ses bras, de sentir contre sa chair la chaleur de son petit corps.
Chapitre 3. Mariage forcé après une tentative de suicide
Rose ne dormait plus la nuit et pensait à son enfant tout le jour. Le soir, elle s'asseyait devant le feu qu'elle regardait fixement. On commençait à jaser à son sujet et on la plaisantait sur l'amoureux qu'elle devait avoir. Pour se distraire, elle se mit à l'ouvrage avec fureur, songeant toujours à son enfant et cherchant les moyens d'amasser pour lui beaucoup d'argent.
Elle résolut de travailler si fort qu'on serait obligé d'augmenter ses gages. Peu à peu, elle accapara la besogne autour d'elle, fit renvoyer une servante devenue inutile, économisa sur tout. Elle se montra avare de l'argent du maître comme si c'eût été le sien et devint indispensable. La ferme, sous sa direction, prospéra prodigieusement.
Cependant ses gages restaient les mêmes. Elle résolut de réclamer une augmentation mais n'osa pas. Un jour, embarrassée, elle demanda huit jours pour aller au pays parce qu'elle était un peu malade. Le fermier les lui accorda et ajouta qu'il aurait aussi à lui parler à son retour.
L'enfant allait avoir huit mois et Rose ne le reconnut point.
Il était devenu tout rose, joufflu, potelé partout... Elle se jeta dessus comme sur une proie, avec un emportement de bête, et elle l'embrassa si violemment.
L'enfant se mit à hurler de peur car il ne la reconnaissait pas. Dès le lendemain cependant, il s'accoutuma à sa figure. Rose l'emportait dans la campagne, lui racontait ses chagrins et ses espérances. Elle sanglota toute la route en retournant à la ferme.
Chapitre 4. Vie conjugale et soupçons croissants
À peine revenue, son maître l'appela dans sa chambre. Le fermier, gros homme de quarante-cinq ans, deux fois veuf, éprouvait une gêne évidente.
Il lui demanda si elle n'avait jamais songé à s'établir, lui dit qu'elle était une brave fille et qu'une femme comme elle ferait la fortune d'un homme. Rose le regardait de l'air épouvanté d'une personne qui se croit en face d'un assassin. Enfin il demanda brusquement : « Mais de m'épouser, pardine ! » Elle se dressa puis retomba sur sa chaise et répéta en suffoquant : « Je ne peux pas, je ne peux pas ! »
Rose ne se coucha pas cette nuit-là. Elle restait inerte, l'esprit dispersé. Ses terreurs grandirent et commença le délire, un besoin fou de partir, de s'échapper. Elle descendit, rampa dans la cour pour n'être point vue, escalada le talus et partit dans la campagne. Elle filait droit devant elle d'un trot précipité, jetant parfois un cri perçant.
Quand le jour naissait, la fille exténuée s'arrêta. Elle aperçut une mare dont l'eau stagnante semblait du sang sous les reflets rouges du jour nouveau. Elle alla tremper ses jambes dedans, s'assit sur une touffe d'herbe et enfonça ses mollets dans l'onde immobile.
Une fraîcheur délicieuse lui monta des talons jusqu'à la gorge... un désir furieux d'y plonger tout entière. Ce serait fini de souffrir là-dedans, fini pour toujours.
Elle se dressa et fit deux pas en avant, enfonçant jusqu'aux cuisses, quand des piqûres ardentes aux chevilles la firent sauter en arrière. De longues sangsues noires buvaient sa vie, collées à sa chair. Un paysan qui passait arracha les sangsues et la ramena dans sa carriole jusqu'à la ferme de son maître.
Chapitre 5. Révélation de la vérité et réconciliation
Rose fut quinze jours au lit. Quand elle se releva, le fermier vint se planter devant elle et demanda si c'était une affaire entendue. Elle répondit qu'elle ne pouvait pas. Il s'emporta et lui cria qu'elle avait donc un amoureux. Tremblant de honte, elle balbutia que peut-être c'était ça. Il nomma tous les garçons du pays jusqu'à Jacques, et Rose suffoqua, un flot de sang empourprant sa face.
Le fermier resta la nuit auprès d'elle, puis tous les jours suivants. Ils vécurent ensemble. Un matin, il lui dit qu'il avait fait publier les bans et qu'ils se marieraient le mois prochain. Elle l'épousa.
Elle se sentait enfoncée dans un trou aux bords inaccessibles, dont elle ne pourrait jamais sortir, et toutes sortes de malheurs restaient suspendus sur sa tête.
Des années passèrent. L'enfant gagnait six ans quand l'humeur du fermier s'assombrit. Il semblait nourrir une inquiétude et restait longtemps à table après son dîner, triste, rongé par le chagrin. Un jour, il dit méchamment à Rose : « Si c'était le tien, tu ne le traiterais pas comme ça. » Au dîner, il ne lui parla pas et semblait la détester, savoir quelque chose enfin.
Rose courut à l'église puis au presbytère. Le curé lui dit que son mari lui avait déjà parlé de ce qui l'amenait. Elle revint à la ferme où le maître l'attendait. Elle tomba à ses pieds en gémissant. Il se mit à crier qu'il n'avait pas d'enfants et que quand une femme n'en avait point, c'est qu'elle ne valait rien.
Dès lors, Rose n'eut plus qu'une pensée : avoir un enfant. Ils consultèrent un berger qui leur donna un pain aux herbes, un instituteur qui leur dévoila des procédés d'amour, le curé qui conseilla un pèlerinage. Tout fut vain. La guerre éclata entre eux. Il l'injuria, la battit. Une nuit, exaspéré, il l'assommait quand elle eut un instant de révolte et cria la vérité :
« J'en ai un enfant, moi, j'en ai un ! Je l'ai eu avec Jacques ! » L'homme stupéfait bredouillait. Elle sanglotait et balbutiait que c'était pour ça qu'elle ne voulait pas l'épouser, qu'elle ne pouvait point le lui dire. Il répétait dans une surprise grandissante : « T'as un enfant ? » Quand elle lui dit que l'enfant allait avoir six ans, il se mit à marcher dans la chambre puis s'arrêta soudain :
Eh bien, on ira le chercher, c't' éfant, puisque nous n'en avons pas ensemble... Je voulais en adopter un, le v'là trouvé, le v'là trouvé.
Il embrassa sa femme éplorée et cria qu'il fallait voir s'il y avait encore de la soupe car il en mangerait bien une potée. Elle passa sa jupe, ils descendirent, et pendant qu'elle rallumait le feu sous la marmite, lui, radieux, continuait à marcher à grands pas dans la cuisine en répétant qu'il était content, bien content.