L'Angélus (Maupassant)
Résumé très court
France, hiver 1870-1871. Dans son château normand, la comtesse de Brémontal attendait anxieusement des nouvelles de son mari parti à la guerre depuis cinq mois.
Elle vivait seule avec son petit garçon Henri, quatre ans. Son père Boutemart, le curé du village et le docteur Paturel venaient dîner au château. Ils annoncèrent que les Prussiens avaient pris Rouen et approchaient. Cette nuit-là, après le départ des invités, des soldats prussiens arrivèrent au château. La comtesse tenta de protéger son fils, mais l'officier commandant, installé dans son salon, l'humilia cruellement.
Fous n'êtes pas chez fous ; fous êtes chez nous. Il n'y a plus bersonne chez lui en France. Et il rit encore, avec la certitude ravie d'affirmer là une vérité incontestable...
L'officier menaça de la chasser de sa propre maison. Le petit Henri se mit à pleurer. La comtesse, terrifiée par les dangers que couraient son enfant et l'enfant qu'elle portait, perdit soudain toute volonté de résister. L'œuvre inachevée de Maupassant incluait aussi des réflexions philosophiques sur Dieu et la souffrance entre le docteur Paturel fils et l'abbé Marvaux, ainsi que leur discussion avec André, second fils infirme de la comtesse.
Résumé détaillé
La division en chapitres est rédactionnelle.
Lattente angoissée de la comtesse
Par un soir d'hiver de 1870, la comtesse de Brémontal attendait ses invités dans le grand salon de son château. La pendule sonna six heures dans la vaste pièce éclairée par plusieurs lampes et un feu de bûches qui flambait dans l'âtre. Malgré toutes ces lumières, l'atmosphère demeurait sombre et froide, pénétrée par la rigueur de l'hiver et le souffle glacé du vent qui faisait craquer les arbres du parc sous leur manteau de neige.
La jeune femme enceinte se leva et vint s'asseoir devant le foyer, tendant ses pieds à la flamme. Les bûches embrasées lui jetaient à la face leur vive chaleur tandis qu'elle sentait dans son dos le frisson de l'atmosphère glaciale. Cette sensation physique du froid se mêlait à l'angoisse morale causée par l'immense catastrophe qui s'abattait sur la France. Torturée par ses nerfs et ses pressentiments, elle se remit à marcher de long en large dans le salon silencieux.
Où est-il à cette heure, lui, son mari, dont elle n'a reçu depuis cinq mois aucune nouvelle ? Prisonnier des Prussiens ou tué ? Martyrisé dans une forteresse ennemie...
Cette pensée obsédante la hantait sans cesse. Elle imaginait les horreurs de cette guerre qui détruisait le pays, tuant les fils des mères, les pères des enfants, les maris des jeunes femmes, tous ensevelis sous ce suaire de neige taché de sang.
Larrivée des invités au château
Écrasée par la peur de l'inconnaissable lendemain, la comtesse s'inquiétait pour ses invités qui devaient venir dîner : son père, le curé du village et le médecin. Son père devait suivre le bord de la Seine sur plusieurs kilomètres, tandis que les deux autres devaient traverser le fleuve en bateau malgré les glaçons qui descendaient de la haute France. Elle sonna pour faire venir son petit Henri, ayant envie de l'embrasser.
Le domestique Pierre la rassura sur les dangers que pouvaient courir ses invités. Quand la bonne Annette amena le petit garçon, la comtesse l'assit sur ses genoux et le regarda dans les yeux.
Ils se sourirent de ce sourire unique, inexprimable, qui échange de l'amour entre la maman et le petit, de cet amour qui est le seul indestructible, qui n'a point d'égal...
Elle l'embrassa sur les cheveux, sur les paupières, sur la bouche, frissonnant de cette joie délicieuse dont tressaillent les vraies mères. L'enfant demanda si papa reviendrait bientôt, et elle le serra contre elle pour le protéger de ce danger monstrueux d'une guerre qui pourrait le réclamer à son tour. Soudain, l'oreille fine de l'enfant distingua le tintement d'un grelot dans la nuit : grand-papa arrivait.
M. Boutemart entra, gardant un air frais malgré ses favoris blancs qui brillaient comme de l'argent. C'était un homme grand, un peu gros, avec un air fortuné - le type du commerçant normand ayant fait une grosse fortune dans les produits chimiques.
Rien n'atteignait sa belle humeur et son inaltérable confiance en lui. Même pendant ces défaites sanglantes, il murmurait avec conviction : « Bah ! C'est une rude épreuve, mais la France se relève toujours. » Sa fille courut à lui, les bras ouverts, tandis que le petit Henri lui saisissait une main.
Le dîner et les nouvelles de la guerre
M. Boutemart apportait de terribles nouvelles : les Prussiens étaient entrés à Rouen dans la journée, et l'armée du général Briant s'était repliée sur Le Havre. La comtesse frémit en apprenant que l'ennemi était si proche. Son père lui promit de venir s'installer au château dès le lendemain, abandonnant ses usines pour ne pas la laisser seule face à cette menace imminente.
Peu après, l'abbé Marvaux et le Docteur Paturel arrivèrent. L'abbé était un homme grand et maigre, très droit, avec une figure marquée de rides profondes. D'origine noble, il avait d'abord été militaire, avait participé à la campagne d'Italie en 1859, mais la vue des massacres lui avait donné l'horreur de la guerre.
Après la mort de sa femme et de sa fille dans la même semaine, il était entré dans les ordres et était devenu curé de campagne. Le Docteur Paturel qui l'accompagnait était un petit homme bedonnant, presque chauve, avec deux touffes de cheveux blancs frisés sur les tempes.
À peine assis pour le dîner, ils confirmèrent la présence des Prussiens à Rouen. Le médecin raconta avoir vu passer l'armée française en retraite à Bourg-Achard. Ils discutèrent à mi-voix, comme s'ils sentaient autour d'eux la présence redoutable des vainqueurs. L'abbé regrettait de ne plus être soldat, tandis que le docteur se réjouissait que son fils Jules serve dans l'armée de Faidherbe comme médecin militaire.
La comtesse demanda anxieusement s'ils croyaient que les Prussiens viendraient dans la région. L'abbé l'affirma. Elle était toujours sans nouvelles de son mari, et quand son père suggéra optimistement qu'il était prisonnier et reviendrait après la guerre, elle balbutia désespérément qu'il pouvait aussi être mort. Cette idée agaçait M. Boutemart, qui n'avait jamais été malheureux et ne comprenait pas qu'on vive dans l'attente du malheur.
Souvenirs et méditations de Germaine
Après le départ de ses invités vers neuf heures et demie, la comtesse resta seule. Elle feuilleta quelques livres sans y prendre intérêt, puis s'assit devant le feu, n'osant pas se coucher car elle connaissait ces interminables insomnies que mesuraient douloureusement les tintements réguliers de la pendule. Alors elle se mit à songer, et des souvenirs lui revinrent de son enfance et de sa jeunesse.
Elle se rappelait sa mère chérie, qu'elle avait vue mourir d'une fluxion de poitrine après une promenade trop longue dans la forêt enneigée. Sa mère était une femme poétique et mélancolique, passionnée de littérature, qui récitait des vers de Chénier et de Lamartine le long de la Seine. Elle avait élevé sa fille avec une tendresse ardente, nourrie de toute la littérature romantique de l'époque.
Après la mort de sa mère, Germaine avait été envoyée à Paris dans une élégante pension mondaine, sous la protection de sa tante. Elle y avait passé trois années, de seize à dix-neuf ans, souffrant de cette nostalgie invincible des dépaysés qui ont grandi au grand air des champs. À son retour, son père avait arrangé son mariage avec le comte de Brémontal, gentilhomme campagnard de vingt-huit ans, propriétaire du château voisin.
Ce fut un bon ménage, et après cinq ans d'union leur vint un fils. La comtesse s'éprit pour son enfant d'un amour maternel extrême et désira ardemment avoir d'autres enfants, surtout une fille. Quand la guerre éclata, son mari voulut s'engager malgré ses supplications. Elle tenta tout pour l'en dissuader, redevenant tendre et séductrice, mais le cœur de gentilhomme patriote l'emporta finalement sur celui d'amant, et il partit rejoindre l'armée du général Chanzy.
Larrivée des Prussiens
Alors qu'elle somnolait dans son fauteuil devant le feu, un bruit bizarre et inconnu la fit tressaillir. C'étaient des voix qui approchaient, des voix d'hommes prononçant des mots étrangers, accompagnées de pas de chevaux dans la neige et de cliquetis de sabres. Les Prussiens ! Elle s'élança vers la sonnette et sonna de toute sa force, puis courut vers la chambre de son enfant.
Les domestiques accoururent à peine vêtus tandis que des coups violents ébranlaient la grande porte comme des chocs de bélier. Une voix puissante criait des commandements en allemand. La comtesse ordonna à ses serviteurs d'ouvrir pour éviter les violences, tandis qu'elle s'enfermait avec son fils. Si on parlait d'elle, ils devaient dire qu'elle était malade et incapable de descendre.
Mais les Prussiens exigèrent qu'elle descende. Un jeune officier de grande taille vint la chercher poliment, et elle accepta de le suivre, portant son fils dans ses bras. En arrivant au salon, elle découvrit sept ou huit officiers installés comme chez eux, fumant dans les fauteuils, leurs sabres jetés sur les livres et les poètes.
Le chef, dos au feu, avait gardé sa casquette et dans sa figure poilue de barbe rousse semblaient luire la joie de la victoire. Il lui demanda insolemment si elle était la dame du château, combien ils étaient de personnes, et où était son mari. Quand elle répondit fièrement qu'il était soldat et se battait, l'officier répliqua avec un gros rire : « Eh bien ! Il est battu alors. »
Exaspérée par cette insolence, la comtesse lui répondit courageusement qu'il n'était pas un gentilhomme pour venir insulter une femme chez elle. L'officier rétorqua brutalement qu'elle n'était plus chez elle mais chez eux, qu'il n'y avait plus personne chez soi en France. Quand elle protesta avec indignation, il la menaça de la chasser de sa propre maison.
La violence n'est pas un droit. C'est un forfait. Vous n'êtes pas plus chez vous qu'un voleur dans la maison dévalisée.
Au bruit de cette voix méchante et forte, le petit Henri se mit à pousser des cris perçants. En entendant pleurer l'enfant, la comtesse perdit la tête, et l'idée des brutalités auxquelles cette soldatesque pouvait se livrer lui mit au cœur l'envie folle de s'en aller, de fuir n'importe où. On la jetait dehors, tant mieux !
Portrait du Docteur Paturel fils
Le fils du Docteur Paturel, Jules, servait comme médecin militaire dans l'armée de Faidherbe. Sa figure rappelait un peu le masque maigre de Voltaire et de Bonaparte, avec le nez coupant et courbé, la mâchoire forte et le menton effilé.
Il avait un tel air d'autorité qu'il inspirait une grande confiance. Il rétablissait des gens réputés inguérissables par des méthodes d'hygiène modernes et des antiseptiques nouveaux. Bien qu'il fût le premier médecin du département, il rêvait de Paris et de gloire scientifique.
Débats philosophiques sur la foi
Dans ses conversations avec l'abbé Marvaux, le jeune docteur exprimait son amertume de vivre en province. Il se plaignait de ne pouvoir travailler pour la science, de manquer de laboratoires et d'hôpitaux. L'abbé lui rappelait que le Christ était mort pour les petits, mais le médecin répliquait avec véhémence qu'il n'était pas le Christ.
Je ne vis pas pour les autres, je vis pour moi, Monsieur le curé... Mais je ne suis pas le Christ, nom d'un chien ! Je suis le Docteur Paturel, agrégé de la Faculté de médecine...
Le prêtre comprenait ce point de vue tout en gardant sa foi. André, le second fils infirme de Mme de Brémontal, écoutait ces débats avec intelligence.
Méditations sur la nature divine
L'abbé Marvaux développait sa conception personnelle du Christ, qu'il considérait comme le vrai Dieu de la terre, plus accessible que le Dieu inconnaissable. Il exprimait l'idée troublante que le Christ avait peut-être été trompé par Dieu dans sa mission.
Le Christ aussi a peut-être été trompé par Dieu dans sa mission, comme nous le sommes. Mais il est devenu Dieu lui-même pour la terre, pour notre terre misérable...
L'œuvre s'achevait sur une méditation imprécatoire contre Dieu, décrit comme un éternel meurtrier qui crée pour mieux détruire, inventeur de tous les fléaux qui accablent l'humanité.
Eternel meurtrier qui semble ne goûter le plaisir de produire que pour savourer inlassablement sa passion acharnée de tuer de nouveau, de recommencer ses exterminations...