La Ficelle (Maupassant)
Résumé très court
Normandie, fin du XIXe siècle. Un jour de marché à Goderville, Maître Hauchecorne ramassa un bout de ficelle dans la rue.
Son ennemi, le bourrelier Malandain, le vit se baisser et crut qu'il ramassait un portefeuille perdu le matin même, contenant cinq cents francs. Malandain le dénonça au maire. Hauchecorne montra la ficelle pour prouver son innocence, mais personne ne le crut. Le lendemain, le portefeuille fut retrouvé par un valet de ferme. Malgré cela, les gens restèrent convaincus qu'Hauchecorne avait fait rapporter l'objet par un complice.
Obsédé par cette injustice, le vieux paysan raconta sans cesse son histoire, ajoutant chaque fois des détails. Plus il se défendait, moins on le croyait. Les moqueries le rongèrent. Il dépérit, s'alita en décembre.
Il mourut dans les premiers jours de janvier et, dans le délire de l'agonie, il attestait son innocence, répétant : — Une 'tite ficelle… une 'tite ficelle…
Résumé détaillé
Division du récit en chapitres — conditionnelle.
Le jour de marché et la ficelle trouvée
Un jour de marché à Goderville, les paysans normands affluaient vers le bourg avec leurs femmes, leurs bêtes et leurs marchandises. Les hommes marchaient d'un pas tranquille, le corps déformé par les rudes travaux des champs, vêtus de leurs blouses bleues empesées. Les femmes les suivaient d'un pas plus vif, portant de larges paniers d'où sortaient des têtes de volailles, la taille drapée dans un châle étriqué.
Sur la place de Goderville régnait une foule bruyante mêlant humains et bêtes. Les voix criardes formaient une clameur continue dominée parfois par les éclats de rire des campagnards ou les meuglements des vaches. Tout sentait l'étable, le lait, le fumier et la sueur.
Maître Hauchecorne, de Bréauté, venait d'arriver à Goderville quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle.
Maître Hauchecorne, économe en vrai Normand, pensa que tout était bon à ramasser qui peut servir ; et il se baissa péniblement, car il souffrait de rhumatismes.
Mais en se relevant, il remarqua maître Malandain, le bourrelier, qui l'observait depuis le seuil de sa porte.
Les deux hommes étaient brouillés depuis une ancienne affaire de licol et demeuraient rancuniers. Hauchecorne fut pris de honte d'être vu ainsi par son ennemi, cherchant dans la boue. Il cacha rapidement sa trouvaille sous sa blouse, fit semblant de chercher autre chose, puis se dirigea vers le marché en se perdant dans la foule des marchandages.
Laccusation et linterrogatoire
Vers midi, quand sonna l'Angélus, les paysans se dirigèrent vers les auberges. Chez Jourdain, la grande salle était pleine de mangeurs et la cour remplie de véhicules de toutes sortes.
Soudain, le tambour roula dans la cour. Tous se précipitèrent aux portes et fenêtres. Le crieur public annonça qu'un portefeuille en cuir noir contenant cinq cents francs et des papiers d'affaires avait été perdu sur la route de Beuzeville entre neuf et dix heures. Une récompense de vingt francs était offerte à qui le rapporterait à la mairie ou chez maître Fortuné Houlbrèque, de Manerville.
Alors qu'on finissait le café, le brigadier de gendarmerie apparut sur le seuil et demanda maître Hauchecorne. Le paysan, surpris et inquiet, suivit le gendarme jusqu'à la mairie où l'attendait le maire, un homme gros et grave aux phrases pompeuses.
Le maire l'accusa d'avoir ramassé le portefeuille perdu, car maître Malandain l'avait vu faire. Hauchecorne protesta de son innocence et sortit de sa poche le bout de ficelle pour prouver ses dires. Mais le maire, incrédule, ne voulut pas croire qu'on puisse confondre une ficelle avec un portefeuille. Malgré ses protestations véhémentes et ses serments, Hauchecorne ne fut pas cru. Après une confrontation avec Malandain qui maintint son accusation, le maire le renvoya en le prévenant qu'il allait aviser le parquet.
La découverte du portefeuille et la tentative de justification
À sa sortie de la mairie, le vieux fut entouré et interrogé avec une curiosité moqueuse. Il raconta l'histoire de la ficelle, mais personne ne le crut. On riait de lui. Il passa sa soirée à répéter son récit à tous ceux qu'il rencontrait, montrant ses poches retournées pour prouver qu'il n'avait rien. On l'appelait « vieux malin », ce qui l'exaspérait. Il rentra chez lui malade d'indignation.
Le lendemain après-midi, Marius Paumelle, valet de ferme de maître Breton, cultivateur à Ymauville, rapporta le portefeuille et son contenu à maître Houlbrèque. Cet homme prétendait l'avoir trouvé sur la route, mais ne sachant pas lire, il l'avait rapporté à son patron.
Informé de cette nouvelle, maître Hauchecorne se remit en tournée pour raconter son histoire complétée du dénouement. Il triomphait et expliquait à tous que ce qui lui faisait le plus de peine, ce n'était pas tant l'accusation elle-même, mais d'être pris pour un menteur.
C' qui m' faisait deuil, c'est point tant la chose, comprenez-vous ; mais c'est la menterie. Y a rien qui vous nuit comme d'être en réprobation pour une menterie.
Le déclin et la mort de Hauchecorne
Pourtant, quelque chose le gênait encore. On avait l'air de plaisanter en l'écoutant, on ne paraissait pas convaincu. Il sentait des propos derrière son dos. Au marché suivant, on l'accueillit avec moquerie. Un maquignon de Montivilliers lui cria qu'il connaissait son histoire de ficelle, et quand Hauchecorne protesta qu'on avait retrouvé le portefeuille, l'homme répliqua qu'il y en avait un qui trouvait et un qui rapportait. On l'accusait maintenant d'avoir fait rapporter le portefeuille par un complice.
Son innocence lui apparaissait confusément comme impossible à prouver, sa malice étant connue.
Il recommença à conter son aventure en allongeant chaque jour son récit, ajoutant des raisons nouvelles et des protestations plus énergiques. Mais plus sa défense était compliquée, moins on le croyait. Les plaisants lui faisaient maintenant conter « la Ficelle » pour s'amuser. Son esprit s'affaiblissait, il dépérissait à vue d'œil. Vers la fin de décembre, il s'alita. Il mourut dans les premiers jours de janvier, attestant son innocence dans le délire de l'agonie en répétant : « Une 'tite ficelle… une 'tite ficelle… t'nez, la voilà, m'sieu le maire. »