La Main (Maupassant)
Résumé très court
Paris, fin du XIXe siècle. Lors d'une soirée mondaine, M. Bermutier raconta une histoire mystérieuse survenue à Ajaccio.
Un Anglais mystérieux, Sir John Rowell, vivait seul dans une villa au bord du golfe.
Bermutier fit sa connaissance lors d'une partie de chasse. Chez l'Anglais, il découvrit une main humaine desséchée, enchaînée au mur. Rowell expliqua qu'elle appartenait à son meilleur ennemi d'Amérique. Un an plus tard, on retrouva Sir John assassiné.
L'Anglais était mort étranglé ! Sa figure noire et gonflée, effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable ; il tenait entre ses dents serrées quelque chose.
La main avait disparu. Dans la bouche du mort se trouvait un doigt arraché.
Résumé détaillé
La division en chapitres est éditoriale.
Le récit-cadre : M. Bermutier commence son histoire
Dans un salon parisien, plusieurs personnes faisaient cercle autour de M. Bermutier, qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris sans que personne n'y comprenne rien. Le magistrat, debout le dos à la cheminée, assemblait les preuves et discutait les diverses opinions sans conclure.
Plusieurs femmes s'étaient approchées, l'œil fixé sur sa bouche, frissonnant de peur curieuse et d'un avide besoin d'épouvante. L'une d'elles, plus pâle que les autres, déclara que cela touchait au surnaturel et qu'on ne saurait jamais rien. M. Bermutier rejeta le terme « surnaturel », préférant parler d'« inexplicable », et proposa de raconter une affaire qu'il avait dû abandonner faute de moyens pour l'éclaircir.
La rencontre avec sir John Rowell et la main mystérieuse
M. Bermutier était alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite ville blanche au bord d'un admirable golfe entouré de hautes montagnes. Il s'occupait surtout d'affaires de vendetta corses, ces haines séculaires qui donnaient lieu à des vengeances terribles, des assassinats et des massacres. Un jour, il apprit qu'un Anglais venait de louer une villa au fond du golfe avec un domestique français pris à Marseille.
Cet homme singulier vivait seul, ne sortant que pour chasser et pêcher, ne parlant à personne. Chaque matin, il s'exerçait au tir au pistolet et à la carabine. Des légendes se formèrent autour de lui : on prétendait qu'il fuyait sa patrie pour des raisons politiques ou qu'il se cachait après avoir commis un crime épouvantable. M. Bermutier résolut de le rencontrer en chassant près de sa propriété.
L'occasion se présenta quand le magistrat tira une perdrix devant l'Anglais. Il alla s'excuser et offrir l'oiseau à sir John Rowell. C'était un grand homme à cheveux et barbe rouges, très large, une sorte d'hercule placide et poli. Au bout d'un mois, ils avaient causé plusieurs fois ensemble. Un soir, l'Anglais l'invita à entrer pour boire un verre de bière.
Sir John le reçut avec courtoisie, parla avec éloge de la France et de la Corse. Interrogé sur sa vie, il raconta qu'il avait beaucoup voyagé en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il évoqua ses chasses à l'hippopotame, au tigre, à l'éléphant et même au gorille. Quand M. Bermutier remarqua que ces animaux étaient redoutables, l'Anglais sourit en déclarant :
Oh ! nô, le plus mauvais c'été l'homme... J'avé beaucoup chassé l'homme aussi.
Il offrit ensuite de lui montrer ses fusils. Son salon était tendu de soie noire brodée d'or avec de grandes fleurs jaunes. Au milieu du plus large panneau, sur un carré de velours rouge, M. Bermutier aperçut un objet étrange qui attira son attention :
C'était une main, une main d'homme... une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse.
Une énorme chaîne de fer rivée au poignet attachait cette main au mur. Sir John expliqua tranquillement que c'était son meilleur ennemi, venu d'Amérique, fendu au sabre, écorché et séché au soleil pendant huit jours. Quand M. Bermutier fit remarquer que la chaîne était inutile maintenant, l'Anglais répondit gravement que la main voulait toujours s'en aller et que cette chaîne était nécessaire. Le magistrat remarqua trois revolvers chargés posés sur les meubles.
Le meurtre de lAnglais et lenquête
Une année entière s'écoula. Un matin de novembre, le domestique de M. Bermutier le réveilla en annonçant que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit. Une demi-heure plus tard, le magistrat pénétrait dans la maison de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait devant la porte.
Dans le salon, ils découvrirent le cadavre étendu sur le dos au milieu de la pièce. Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu. L'Anglais était mort étranglé, sa figure noire et gonflée exprimait une épouvante abominable. Il tenait quelque chose entre ses dents serrées, et son cou était percé de cinq trous couverts de sang.
Un médecin les rejoignit et examina les traces des doigts dans la chair.
Il prononça ces étranges paroles : « On dirait qu'il a été étranglé par un squelette. » M. Bermutier jeta alors les yeux sur le mur où il avait vu jadis l'horrible main. Elle n'y était plus, la chaîne brisée pendait. Il se baissa vers le mort et trouva dans sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue, coupé par les dents à la deuxième phalange.
L'enquête ne révéla rien : aucune porte n'avait été forcée, aucune fenêtre, aucun meuble. Les chiens de garde ne s'étaient pas réveillés. Le domestique témoigna que depuis un mois, son maître semblait agité, recevait beaucoup de lettres qu'il brûlait aussitôt, et frappait souvent avec fureur la main séchée. Cette nuit-là, il n'avait fait aucun bruit. Trois mois après le crime, M. Bermutier fit un cauchemar où il voyait la main courir comme un scorpion dans sa chambre. Le lendemain, on la lui apporta, trouvée sur la tombe de sir John au cimetière. L'index manquait.
Retour au récit-cadre et explication du magistrat
M. Bermutier termina son récit en déclarant qu'il ne savait rien de plus. Les femmes, éperdues et pâles, frissonnaient. L'une d'elles s'écria que ce n'était ni un dénouement ni une explication, et qu'elles n'allaient pas dormir s'il ne leur disait pas ce qui s'était passé selon lui.
Le magistrat sourit avec sévérité et donna son explication rationnelle :
Je pense tout simplement que le légitime propriétaire de la main n'était pas mort, qu'il est venu la chercher avec celle qui lui restait.
Il ajouta qu'il n'avait pu savoir comment l'homme avait fait, qualifiant cela de « sorte de vendetta ». Une des femmes murmura que cela ne devait pas être ainsi. Le juge d'instruction, souriant toujours, conclut qu'il avait bien dit que son explication ne leur irait pas.