La place (Ernaux)

De Wikisum
Aller à :navigation, rechercher
Avertissement : Ce résumé a été généré par une IA, il peut donc contenir des erreurs.
👨‍👧
La place
1983
Résumé du livre
L'original se lit en 100 minutes
Micro-résumé
Une professeure raconte la vie de son père, ouvrier devenu commerçant, et la distance qui s'est creusée entre eux quand elle a intégré le monde intellectuel. Il est mort rapidement d'une maladie.

Résumé très bref

France, années 1980. Après avoir réussi l'épreuve pratique du CAPES, la narratrice apprit le décès de son père deux mois plus tard. Cet événement la poussa à évoquer la vie de cet homme et la distance qui s'était installée entre eux.

👩🏻‍🏫
La Narratrice (Annie Ernaux) — narratrice, femme d'environ 40 ans, professeure de lettres, fille de commerçants modestes, intellectuelle issue d'un milieu populaire, mariée, mère d'un fils, déchirée entre deux mondes sociaux.

Son père, né à la fin du XIXe siècle dans un village normand, fut d'abord ouvrier agricole, puis ouvrier en usine, avant de devenir propriétaire d'un café-épicerie. Il avait connu la misère, la guerre, et avait toujours travaillé dur pour s'élever socialement.

👨🏻‍🦳
Le Père — homme de 67 ans à sa mort, ancien ouvrier devenu commerçant, tenancier d'un café-alimentation, d'origine paysanne, discret, travailleur, sérieux, grand avec des yeux bleus, mal à l'aise avec le langage soutenu.

À l'adolescence, la narratrice commença à s'éloigner de son père. Elle poursuivit des études, entra dans le monde bourgeois et intellectuel, tandis que lui restait attaché à son milieu d'origine. Le langage devint le symbole de leur séparation : lui parlait mal, elle apprenait à bien s'exprimer.

Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé.

La narratrice se maria avec un homme de la bourgeoisie qui ne chercha jamais à connaître ses beaux-parents. Elle-même ne rendait visite à son père que rarement. Lors d'un séjour chez ses parents, son père tomba malade et mourut rapidement. Après sa mort, elle décida d'écrire sur lui, non pas sous forme de roman, mais en rassemblant les faits objectifs de sa vie, pour rendre compte de cette existence soumise à la nécessité.

Résumé détaillé

La division en chapitres est éditoriale.

L'obtention du CAPES et la mort du père

La narratrice passa les épreuves pratiques du CAPES dans un lycée de Lyon. Après avoir expliqué un extrait du Père Goriot de Balzac devant un jury composé d'un inspecteur et de deux assesseurs, elle fut reçue. L'inspecteur lui serra la main en la félicitant. Cette cérémonie lui laissa un sentiment de honte et de colère. Le soir même, elle écrivit à ses parents qu'elle était désormais professeur titulaire.

Deux mois plus tard, jour pour jour, son père mourut à l'âge de soixante-sept ans. Il tenait avec sa femme un café-alimentation près de la gare à Y... (Seine-Maritime) et comptait se retirer dans un an. La narratrice confond parfois l'ordre chronologique de ces deux événements, ne sachant plus si la scène du lycée a précédé ou suivi le décès.

C'était un dimanche après-midi quand sa mère apparut en haut de l'escalier, se tamponnant les yeux avec une serviette de table, et annonça d'une voix neutre : « C'est fini. » La narratrice ne se souvient pas des minutes qui suivirent, seulement des yeux de son père fixant quelque chose derrière elle. La famille procéda à la toilette du défunt avec simplicité, sans cris ni sanglots. Sa mère s'adressait à lui comme s'il était encore vivant, l'appelant « mon pauvre petit père » avec affection.

👩🏻‍🦰
La Mère — femme d'environ 60 ans, commerçante, épouse du père, ancienne ouvrière, ambitieuse, vive, plus à l'aise socialement que son mari, travailleuse, désireuse d'ascension sociale pour sa fille.

L'enfance et la jeunesse du père

L'histoire du père commence à la fin du XIXe siècle, dans un village du pays de Caux. Son père, le grand-père de la narratrice, travaillait comme charretier dans une ferme. Il n'avait pas eu le temps d'apprendre à lire et à écrire, savait seulement compter. C'était un homme dur qui distribuait des coups de casquette aux enfants et ne supportait pas de voir quelqu'un de sa famille plongé dans un livre ou un journal.

👴🏻
Le Grand-père paternel — homme âgé, ancien charretier dans une ferme, illettré, dur, violent, travailleur, père du père de la narratrice, aux cheveux blancs et bouclés à la fin de sa vie.

La grand-mère paternelle, quant à elle, avait appris à lire à l'école des sœurs. Elle tissait pour une fabrique de Rouen et était réputée pour sa propreté et sa distinction. Vers la quarantaine, après cinq enfants, elle commença à souffrir d'idées noires et de rhumatismes. Elle était pieuse et croyait aux saints guérisseurs.

👵🏻
La Grand-mère paternelle — femme âgée, tisseuse à domicile, propre, pieuse, distinguée malgré sa pauvreté, mère du père de la narratrice, souffrant de rhumatismes dans sa vieillesse.

Le père de la narratrice fréquentait l'école, mais devait souvent s'absenter pour les travaux des champs. L'instituteur reprochait à ses parents de vouloir qu'il reste « misérable comme eux ». À douze ans, alors qu'il était dans la classe du certificat, son père le retira de l'école pour le placer dans la même ferme que lui. Il aimait apprendre et dessinait bien, mais on ne pouvait plus le nourrir « à rien faire ».

Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante.

Le mariage et la corderie

Le père resta garçon de ferme jusqu'au régiment. La guerre de 14 secoua le temps. Au village, on jouait au yoyo et on buvait du vin dans les cafés au lieu de cidre. Dans les bals, les filles aimaient de moins en moins les gars de ferme. Par le régiment, le père entra dans le monde : Paris, le métro, une ville de Lorraine, un uniforme qui les rendait tous égaux. Il put échanger ses dents rongées par le cidre contre un appareil dentaire.

À son retour, il ne voulut plus retourner dans la culture (le travail de la terre). Il entra dans une corderie à Y... qui commençait à s'industrialiser. C'était un travail propre, à l'abri des intempéries, avec des horaires fixes. Il était sérieux, c'est-à-dire ni feignant, ni buveur, ni noceur. Il s'était acheté un vélo et mettait chaque semaine de l'argent de côté.

C'est à la corderie qu'il rencontra la mère de la narratrice. Elle avait perdu son père et sa mère tissait à domicile pour élever ses six enfants. Les sœurs du père, employées dans des familles bourgeoises, regardèrent la mère de haut. Au village, on lui trouvait mauvais genre car elle suivait la mode, s'était fait couper les cheveux et portait des robes courtes. Pourtant, elle était une ouvrière sérieuse qui allait à la messe tous les dimanches.

Après leur mariage, ils louèrent un logement à Y... Avec les économies du père, ils eurent tout ce qu'il fallait : une salle à manger, une chambre avec une armoire à glace. Une petite fille naquit et la mère resta chez elle. Le père trouva une place mieux payée chez un couvreur.

Le café-épicerie à la Vallée et la perte d'une enfant

Après que le père fut tombé d'une charpente, la mère eut l'idée de prendre un commerce. Ils économisèrent et cherchèrent un établissement sans mise de fonds importante ni savoir-faire particulier. Ils achetèrent à crédit le fonds d'un café-épicerie dans un quartier ouvrier appelé la Vallée, à L..., à trente kilomètres du Havre. Le plafond était si bas qu'on le touchait à main levée et il fallait de l'électricité en plein midi.

Au début, ce fut le pays de Cocagne : des rayons de nourritures et de boissons, gagner de l'argent avec simplicité. Mais rapidement, les clients demandèrent à payer plus tard, et il fallut choisir entre l'ardoise ou le retour à l'usine. L'ardoise leur parut la solution la moins pire. Le café-épicerie ne rapportait pas plus qu'une paye d'ouvrier, et le père dut s'embaucher sur un chantier de construction de la basse Seine.

Mi-commerçant, mi-ouvrier, il était des deux bords à la fois, voué à la solitude et à la méfiance. Il n'était pas syndiqué, avait peur des Croix-de-Feu et des rouges qui lui prendraient son fonds. Peu à peu, ils firent leur trou, liés à la misère et à peine au-dessus d'elle. Le crédit leur attachait les familles nombreuses ouvrières, les plus démunies.

Le père entra aux raffineries de pétrole Standard dans l'estuaire de la Seine. Il faisait les quarts et gagnait beaucoup. On promettait aux ouvriers une cité avec salle de bains et cabinets à l'intérieur. Le café-épicerie ne fermait jamais, même pendant les congés payés de 1936.

La petite fille rentra un jour de classe avec mal à la gorge. C'était la diphtérie. Comme les autres enfants de la Vallée, elle n'était pas vaccinée. Le père était aux raffineries quand elle mourut. À son retour, on l'entendit hurler depuis le haut de la rue. Il resta hébété pendant des semaines, puis sujet à des accès de mélancolie. La mère racontait en s'essuyant les yeux : « elle est morte à sept ans, comme une petite sainte ».

👧🏻
La Fille décédée — petite fille de 7 ans, première enfant du couple, sœur aînée de la narratrice, morte de diphtérie, décrite comme une "petite sainte".

L'installation à Y... et la vie de commerçant

En 1939, le père ne fut pas appelé, trop vieux déjà. Les raffineries furent incendiées par les Allemands et il partit à bicyclette sur les routes tandis que sa femme, enceinte de six mois, profitait d'une place dans une voiture. À Pont-Audemer, il reçut des éclats d'obus au visage. Il retrouva sa belle-famille à Lisieux, puis rentra à L... L'épicerie avait été pillée. Sa femme revint et la narratrice naquit dans le mois qui suivit.

Pendant l'Occupation, le père rapportait chaque semaine des marchandises d'un entrepôt à trente kilomètres, dans une carriole attachée derrière son vélo. Sous les bombardements de 1944, il continua d'aller au ravitaillement, quémandant des suppléments pour les vieux et les familles nombreuses. Il fut considéré comme le héros du ravitaillement dans la Vallée.

Entraîné par l'espérance générale de 1945, il décida de quitter la Vallée. La narratrice était souvent malade et le médecin voulait l'envoyer en aérium. Ils vendirent le fonds pour retourner à Y... dont le climat venteux leur paraissait bon pour la santé. La ville avait été brûlée par les Allemands. Pendant trois mois, ils vécurent dans un deux-pièces meublé sans électricité, prêté par un membre de la famille.

Ils trouvèrent un fonds de café-épicerie-bois-charbons dans un quartier décentré, à mi-chemin de la gare et de l'hospice. Une maison paysanne modifiée, avec une grande cour, un jardin et plusieurs bâtiments servant d'entrepôts. La vie d'ouvrier du père s'arrêta là. La population du quartier se composait d'artisans, d'employés du gaz ou d'usines moyennes, de retraités économiquement faibles.

Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d'un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation de l'aliénation qui l'accompagne. Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même...

Ils avaient tout ce qu'il fallait : ils mangeaient à leur faim, avaient chaud dans la cuisine et le café, possédaient deux tenues, l'une pour tous les jours, l'autre pour le dimanche. La narratrice avait deux blouses d'école. Ils purent embellir la maison, supprimant ce qui rappelait l'ancien temps : les poutres apparentes, la cheminée, les tables en bois et les chaises de paille. Le père emprunta pour devenir propriétaire des murs et du terrain, ce que personne dans la famille n'avait jamais été.

La distance sociale et culturelle entre père et fille

À l'adolescence, la narratrice commença à s'éloigner du monde de son père. Elle travaillait ses cours, écoutait des disques et lisait dans sa chambre. Elle ne riait jamais à la maison et faisait de « l'ironie ». Elle émigrait doucement vers le monde petit-bourgeois, admise dans des surboums. Tout ce qu'elle aimait auparavant lui semblait désormais « péquenot » : Luis Mariano, les romans de Marie-Anne Desmarets, le rouge à lèvres.

Son père était entré dans la catégorie des « gens simples » ou « modestes » ou « braves gens ». Il n'osait plus lui raconter des histoires de son enfance. Elle ne lui parlait plus de ses études, sauf du latin, parce qu'il avait servi la messe. Il se fâchait quand elle se plaignait du travail ou critiquait les cours. Le mot « prof » lui déplaisait, ou « dirlo », même « bouquin ».

J'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire.

Il s'énervait de la voir à longueur de journée dans les livres. Pour lui, les études étaient une souffrance obligée pour obtenir une bonne situation et ne pas prendre un ouvrier. Mais qu'elle aime se « casser la tête » lui paraissait suspect. Il craignait qu'on ne la prenne pour une paresseuse et lui pour un crâneur. Comme une excuse : « On ne l'a jamais poussée, elle avait ça dans elle. »

Un jour, il lui dit : « Les livres, la musique, c'est bon pour toi. Moi je n'en ai pas besoin pour vivre. » Le reste du temps, il vivait patiemment. Quand elle revenait de classe, il était assis dans la cuisine à lire Paris-Normandie. Il levait la tête : « Tiens voilà la fille. Ce que j'ai faim ! — C'est une bonne maladie. Prends ce que tu veux. » Heureux de la nourrir, au moins.

La vieillesse du père, sa maladie et son décès

À cinquante-neuf ans, le père fut opéré d'un polype à l'estomac. Ses forces étaient perdues. Sous peine d'une déchirure, il ne pouvait plus soulever de casiers ni travailler au jardin plusieurs heures d'affilée. Il perdit sa fierté. « Je ne suis plus bon à rien. » La nourriture devint une chose terrible, bénéfique ou maléfique selon qu'elle passait bien ou lui revenait en reproche.

La narratrice entra comme élève-maîtresse à l'école normale de Rouen, puis passa un long moment à Londres. Elle revint, repartit, fit une licence de lettres à Rouen. Son père avait encore des projets pour que le commerce et la maison aient bonne apparence, mais de moins en moins la perception des bouleversements nécessaires pour attirer une nouvelle clientèle. Il s'était résigné à ce que son commerce ne soit qu'une survivance qui disparaîtrait avec lui.

La narratrice se maria avec un étudiant de sciences politiques. Pour recevoir ce jeune homme, le père mit une cravate et échangea ses bleus contre un pantalon du dimanche. Il exultait, sûr de pouvoir considérer son futur gendre comme son fils. Il lui montra son jardin et le garage qu'il avait construit seul. Il voulut que ses économies servent à aider le jeune ménage.

👨🏻‍💼
Le Mari de la narratrice — homme d'environ 30 ans, issu de la bourgeoisie intellectuelle, administrateur dans une ville touristique des Alpes, distant avec les beaux-parents, ironique, cultivé.

Après le mariage, la narratrice et son mari habitèrent une ville touristique des Alpes. Elle ne voyait plus ses parents que de loin en loin. Son mari ne venait jamais, pour des raisons indicibles qu'elle avait admises comme allant de soi : comment un homme né dans une bourgeoisie à diplômes aurait-il pu se plaire en compagnie de « braves gens » dont la gentillesse ne compenserait jamais le manque d'une conversation spirituelle ?

Un jour, la narratrice rendit visite à ses parents avec son fils de deux ans et demi. Sa mère l'attendait à la gare. Son père les attendait dans la cuisine et ne lui parut pas vieilli. Ils s'emparèrent complètement de leur petit-fils, décidant de tout à son propos. On mangea tous les quatre à la table contre la fenêtre, l'enfant sur les genoux de sa mère. Un beau soir calme, un moment qui ressemblait à un rachat.

👶🏻
Le Fils de la narratrice — petit garçon de 2-3 ans à la fin du récit, petit-fils du père, lien entre les générations, innocent face aux tensions sociales.

Le lendemain matin, le père vomit à l'aube. La mère supposait une indigestion avec des restes de volaille. Le médecin monta directement à la chambre et suggéra de le transporter à l'Hôtel-Dieu de Rouen, mais décida finalement d'attendre. La mère et la narratrice s'occupèrent du commerce et de l'enfant sans parler de la maladie entre elles.

👨🏻‍⚕️
Le Médecin — homme d'âge moyen, figure d'autorité médicale, soigne le père pendant sa maladie finale, sérieux, réservé.

Dans la nuit de vendredi à samedi, la respiration du père devint profonde et déchirée, suivie d'un bouillonnement très fort. Le dimanche matin, un prêtre vint lui donner l'extrême-onction. Plus tard, la narratrice trouva son père assis au bord du lit, la tête penchée, fixant désespérément la chaise à côté du lit, un verre vide au bout de son bras tendu. Sa main tremblait avec violence. Elle le recoucha et osa le regarder vraiment. Sa figure n'offrait plus qu'un rapport lointain avec celle qu'il avait toujours eue.

À midi et demi, la narratrice coucha son fils. Son père respirait difficilement, les yeux grands ouverts. Sa mère ferma le café et l'épicerie, comme tous les dimanches, vers une heure. Pendant que la narratrice faisait la vaisselle, son oncle et sa tante arrivèrent. Elle entendit sa mère marcher lentement au-dessus, commencer à descendre. Juste au tournant de l'escalier, elle dit doucement : « C'est fini. »

Réflexions sur l'écriture et la distance de classe

Le commerce n'existe plus. C'est une maison particulière, avec des rideaux de tergal aux anciennes devantures. Le fonds s'est éteint avec le départ de la mère qui vit dans un studio à proximité du centre. Elle a fait poser un beau monument de marbre sur la tombe : « A... D... 1899-1967. Sobre, et ne demande pas d'entretien. »

J'ai fini de mettre au jour l'héritage que j'ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j'y suis entrée.

La narratrice se souvient d'un dimanche où, à l'âge de douze ans, elle monta avec son père le grand escalier de la mairie pour aller à la bibliothèque municipale. Ils ne savaient pas qu'il fallait connaître d'avance les titres des livres qu'on voulait emprunter. On choisit pour eux Colomba et un roman de Maupassant. Ils n'y retournèrent jamais.

Il me conduisait de la maison à l'école sur son vélo. Passeur entre deux rives, sous la pluie et le soleil.

La plus grande fierté du père, ou même la justification de son existence, était que sa fille appartienne au monde qui l'avait dédaigné. Pendant que la narratrice écrivait ce récit, elle corrigeait aussi des devoirs, fournissait des modèles de dissertation, parce qu'elle était payée pour cela. Ce jeu des idées lui causait la même impression que le luxe, un sentiment d'irréalité, une envie de pleurer.

Peut-être sa plus grande fierté, ou même, la justification de son existence : que j'appartienne au monde qui l'avait dédaigné.

Un jour, dans un supermarché, la narratrice reconnut dans la caissière une ancienne élève. Elle lui demanda si elle se plaisait là. La jeune femme répondit oui, puis ajouta avec gêne : « Le C.E.T., ça n'a pas marché. » Elle semblait penser que son ancienne professeure avait encore en mémoire son orientation, mais celle-ci avait tout oublié.