Une vendetta (Maupassant)
Résumé très court
Bonifacio, Corse, XIXe siècle. Dans une petite maison pauvre perchée sur les remparts, vivait une vieille femme avec son fils Antoine et leur chienne Sémillante.
Un soir, Antoine fut assassiné d'un coup de couteau par Nicolas Ravolati qui s'enfuit aussitôt en Sardaigne. Quand la vieille mère reçut le corps de son fils, elle lui promit solennellement la vendetta. Sans homme pour l'aider, elle chercha seule comment accomplir sa vengeance.
Elle eut alors une idée féroce : elle affama Sémillante pendant des jours, puis lui apprit à attaquer un mannequin de paille dont le cou était entouré de boudin grillé. Pendant trois mois, elle dressa la chienne à déchirer la gorge de ce faux homme.
Déguisée en vieux mendiant, elle traversa le détroit avec la chienne affamée et trouva Nicolas dans sa boutique de menuisier à Longosardo.
Il se tourna ; alors, lâchant sa chienne, elle cria : — Va, va, dévore, dévore ! L'animal, affolé, s'élança, saisit la gorge.
L'homme mourut, la gorge déchiquetée. La vieille rentra chez elle le soir même et dormit paisiblement, sa vendetta accomplie.
Résumé détaillé
Les titres des sections sont éditoriaux.
Le meurtre dAntoine et le serment de vengeance de sa mère
Dans la petite ville de Bonifacio, perchée sur les remparts au-dessus de la mer, la veuve Saverini habitait seule avec son fils Antoine dans une modeste maison. La ville, construite sur un promontoire rocheux, dominait le détroit hérissé d'écueils qui la séparait de la Sardaigne. Le vent incessant fatiguait la mer et la côte nue, s'engouffrant dans le détroit dont il ravageait les deux bords.
La maison de la veuve, soudée au bord même de la falaise, ouvrait ses trois fenêtres sur cet horizon sauvage et désolé. Elle vivait là avec son fils Antoine et leur chienne Sémillante, grande bête maigre aux poils longs et rudes, de la race des gardeurs de troupeaux, qui servait au jeune homme pour chasser.
Un soir, après une dispute, Antoine Saverini fut tué traîtreusement d'un coup de couteau par Nicolas Ravolati, qui s'enfuit la nuit même vers la Sardaigne.
Quand la vieille mère reçut le corps de son enfant, que des passants lui rapportèrent, elle ne pleura pas, mais elle demeura longtemps immobile à le regarder
Puis, étendant sa main ridée sur le cadavre, elle lui promit la vendetta. Elle s'enferma auprès du corps avec la chienne, qui hurlait continuellement.
Le dressage de Sémillante pour la vendetta
Antoine fut enterré le lendemain, et bientôt on ne parla plus de lui dans Bonifacio. Il n'avait laissé ni frère ni proches cousins. Aucun homme n'était là pour poursuivre la vendetta. Seule, la mère y pensait. De l'autre côté du détroit, elle voyait du matin au soir un point blanc sur la côte : le petit village sarde de Longosardo, où se réfugiaient les bandits corses traqués. C'est là que s'était réfugié Nicolas Ravolati.
Comment ferait-elle sans personne, infirme, si près de la mort ? Mais elle avait promis, elle avait juré sur le cadavre. Elle ne pouvait oublier, elle ne pouvait attendre.
Elle cherchait obstinément un moyen de se venger. La chienne, à ses pieds, sommeillait et parfois hurlait au loin, comme si elle appelait son maître disparu.
Or, une nuit, comme Sémillante se remettait à gémir, la mère, tout à coup, eut une idée, une idée de sauvage vindicatif et féroce.
Elle se rendit à l'église pour prier Dieu de l'aider, puis rentra chez elle. Elle renversa un ancien baril dans sa cour, y enchaîna Sémillante et commença son étrange dressage. Elle affama la chienne pendant des jours, puis confectionna un mannequin avec de vieilles hardes de son défunt mari Paolo, le bourrant de paille pour simuler un corps humain.
Elle acheta un long morceau de boudin noir qu'elle fit griller, puis en fit une cravate au mannequin, la ficelant autour du cou. Quand elle déchaîna la chienne affamée, celle-ci se jeta sur le mannequin avec une violence extraordinaire, déchirant la gorge de paille pour atteindre la nourriture.
Lexécution de la vengeance en Sardaigne
Pendant trois mois, elle habitua Sémillante à cette sorte de lutte, à ce repas conquis à coups de crocs. La chienne apprit à déchirer et dévorer le mannequin dès qu'elle l'apercevait, sur un simple geste de sa maîtresse qui lui criait "Va !" d'une voix sifflante.
Quand elle jugea le temps venu, la mère Saverini alla se confesser et communia un dimanche matin avec une ferveur extatique. Puis, ayant revêtu des habits d'homme, semblable à un vieux pauvre déguenillé, elle fit marché avec un pêcheur sarde qui la conduisit, accompagnée de sa chienne, de l'autre côté du détroit.
Elle avait dans un sac de toile un grand morceau de boudin. Sémillante jeûnait depuis deux jours. Elles entrèrent dans Longosardo. La Corse se présenta chez un boulanger et demanda la demeure de Nicolas Ravolati. Il avait repris son ancien métier de menuisier et travaillait seul au fond de sa boutique. La vieille poussa la porte, l'appela, puis lâcha sa chienne en criant : "Va, va, dévore, dévore !"
L'animal affolé s'élança, saisit la gorge de l'homme. Celui-ci s'écroula, se tordit quelques secondes, puis demeura immobile pendant que Sémillante lui fouillait le cou qu'elle arrachait par lambeaux. Deux voisins se rappelèrent avoir vu sortir un vieux pauvre avec un chien noir efflanqué. Le soir, la vieille était rentrée chez elle et dormit bien cette nuit-là.